Extrait n°1. L’aspirant SAB

N°1. L’enfant tué par erreur

La bande de fellaghas qui, au cours d’une patrouille de nuit, a tué le Caporal Oumar Kourouma, s’est réfugiée dans le djebel Tarfa. Deux compagnies de tirailleurs sénégalais, dont la section de Sab, sont lancées à la recherche des hors-la-loi.

2.Gr. combat Guerbech. 1956 (1)Tarfa, c’étaient ces hautes collines dégringolant au Sud vers la Seybouse, là ou Metellus et ses légions bousculèrent les Numides de Jugurtha. Pour les compagnies du 25e RTS, c’était la « zone interdite », c’est-à-dire un champ libre offert à leur défoulement guerrier, et l’occasion d`arrondir leurs bilans en « cassant » du fellagha.
Grâce aux documents saisis par Gatiniol après son accrochage, le capitaine Guillou avait pu situer la zone refuge de la bande, dans Tarfa. Il avait donc une première bonne raison d’y retourner. Il en avait probablement une autre qui devait le tarauder : fournir à ses tirailleurs l’occasion d’une vraie revanche, et si possible d”un vrai combat avec les HLL qui avaient tué le caporal Oumar Kourouma.
Pour éviter d”épuisantes poursuites dans un djebel sans fin, Guillou, avec sa compagnie et le renfort de la Troisième, s’était infiltré de nuit sur la première ligne de crêtes dominant le Zeraïa.
Le ratissage allait pouvoir s’opérer dans le sens Sud-Nord, le soleil du bon côté, et vers collines et plaines de plus en plus à découvert.

A la cote 242, vers huit heures, la troisième compagnie accrochait la petite bande de fellaghas. L’échange fut court et violent : un tirailleur tué, trois fellaghas en armes abattus, et deux en fuite, réussissant à contourner le dispositif. Pour les tirailleurs de la deux, c’était un demi-succès, car, même s’il s’agissait de la bande de Gatiniol, ce n’était pas leur succès, mais celui de la Troisième.
Et la fouille méthodique de l’oued leur avait pris le reste de la matinée, sans rien leur rapporter.
L’après-midi, la section de Sab reçut la mission d’aller nomadiser jusqu’au lendemain dans les mechtas installés sous la cote 382.
Au bord d’un oued où coulait un mince filet d°eau entre quelques bouquets de lauriers roses, deux ou trois femmes apeurées, ou feignant la peur, se serraient au milieu d’une ribambelle d”enfants. Interrogées, elles ne savaient évidemment rien. Les gamins, couverts d’eczéma, n’arrêtaient pas de chasser les mouches qui revenaient sans cesse se poser au bord de leurs yeux. L’un d’eux avait un glaucome. Tandis que la section se déployait en protection, le caporal Dabadie, que sa pharmacie ne quittait jamais, entreprit un cours d’hygiène élémentaire, par le truchement de Costa. Après avoir vanté les vertus de l”eau bouillie, fait une démonstration de toilettage au moins du visage, il ôta le chéchia du gosse dont la peau lui paraissait le plus abîmée : un monde suppurant et grouillant de poux s’offrit à ses yeux. Nettoyage, mercurochrome, interdiction de chéchia…
– A quoi bon ? murmura Sab à Dabadie.
La demi-heure de bonne conscience terminée, la section se remit en marche. Costa et Hernandez, en éclaireurs, remontaient la pente, l’oued à leur droite…
TATATA… TATA…
D’un bond, l’Aspi et Dabadie avaient rejoint Costa, dont le PM était toujours braqué vers l’oued.
– J’ai entendu bouger un type. Il est planqué dans les broussailles ! cria-t-il.
– Je l’aperçois, dit Sab. Il n’est pas mort. Sortez-le de là.
Dabadie, allez dire aux autres de se mettre en garde. Alors, on sortit du roncier un enfant. Un enfant ! Il avait moins de dix ans, le ventre ouvert. Dabadie était revenu.
– Il est foutu, dit-il à voix basse à Sab.
Costa, pâle, ne disait plus rien.
– Qu’est-ce qu’on fait ? questionnait l’Aspi. On n’a même pas la liaison radio.
L’enfant geignait doucement, les yeux en pleurs, égarés.
– Il souffre, dit Dabadie. Et même si on pouvait obtenir un hélicoptère, il serait mort avant…
– Alors… il vaut mieux abréger ses souffrances… se résolut à dire l’Aspi. Y-a-t-il un volontaire… ?
Le silence s’était fait. Dans l’équipe de tête, comme dans le groupe de tirailleurs le plus proche, les yeux regardaient ailleurs.
Dabadie dit :
– Mon lieutenant, je le ferai. Partez en avant, je vais rester…
Il rendit à Hernandez son PM et lui prit son Fusil.
La section fit cinquante mètres et s’arrêta de l’autre côte de la crête.
On entendit un coup de feu. Dabadie ne revenait pas. Trente
secondes. Une minute… Un deuxième coup de fusil. Dabadie,
en courant, déboucha sur la crête. Il s’approcha, essoufflé, défait :
– Il me regardait, dit-il.
A la tombée du jour, Sab et ses hommes avaient rallié la cote 250, où Gauthier les attendait avec sa section. La nuit fut glaciale et humide.

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