Extrait n°1. Le Village des Bons

1

Les boulangers de la rue des Bons craignent en 1935-36 les menaces de Communisme et du National-Socialisme. Sensibles aux corporatismes de droite, ils adhèrent à une ligue patriotique : La Solidarité Française.

Un grand jour pour les Berthommé. Marcel a déjà sorti la Novaquatre du garage et l’a rangée devant la porte de la grille, rue Henri Mériot. Inutile de plastronner, devant le magasin fermé, rue des Bons. C’est que ce matin, les voilà revêtus de pied en cap de l’uniforme de la Solidarité Française : béret noir, chemise bleue à fermeture éclair et pattes d’épaule jaune, jupe-culotte kaki pour la dame et baudrier, culotte de cheval et leggins pour lui.
Les enfants dorment encore. Marceline les a confiés à Clairette après moult recommandations. Elle a vérifié la fermeture des portes du magasin et du fournil. Très énervée, elle arpente la pavé de la cour. Il est bientôt huit heures. On attend les deux frères Naulleau, leurs amis ostréiculteurs de Fouras, pour faire avec eux voiture commune jusqu’à Saintes où va se dérouler le grand meeting de la Solidarité Française.

Enfin, les voilà ! Eux aussi habillés de bleu et de kaki. D’humeur toujours aussi « rigolarde », les deux hommes n’en sont pas moins déterminés et d’ardents propagandistes de la SF. A peine installés sur le siège arrière, alors que Marcel traverse la ville pour rejoindre le port et la route de Tonnay-Charente, ils racontent tout le travail de propagande auquel depuis plus d’un mois ils se sont livrés, à Fouras comme à Rochefort : collage d’affiches, distribution de tracts…
— On voit bien que les huîtres, ça pousse tout seul. Ça donne du temps ! Ce n’est pas comme le pain, ça se surveille comme le lait sur le feu !
Marceline se croit obligée d’excuser le peu d’empressement qu’elle et son époux ont manifesté pour ce travail de militants. Mais Georges Naulleau n’a pas la langue dans sa poche…
— D’après ce qu’on nous a dit, ça devrait amener au moins mille participants à Saintes. Mais, c’est sûr, Marceline, que si vous vous étiez mise au boulot, comme nous, il y aurait eu beaucoup plus de monde… Qui sait ? Quinze cents ? Deux mille ?
La boulangère a parlé un peu vite. Marcel, quittant un instant la route des yeux, jette un œil sur elle : non, ça va ! Ni fâchée, ni vexée, elle sourit, imaginant déjà sans doute le meeting.
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que lui, Marcel, a participé depuis trois mois, à quelques réunions à Rochefort, avec Jean Quémeneur, le photographe de la rue Gambetta. C’est lui qui, à Rochefort, compte tenu de son passé militaire, a été désigné comme chef de leur section, la 144ème.

Arrivé à Saintes, Marcel gare sa voiture Cours National. Les Naulleau partent rejoindre d’autres amis de la SF. Marcel et Marceline, eux, vont au rendez-vous que leur a fixé Pierre Ménard, chez lui, rue des Remparts. Sa mère est là, heureuse d’embrasser ses cousins et un peu surprise de les découvrir en uniforme. Pierre, en tenue lui aussi, porte ses galons de capitaine et arbore sa légion d’honneur. L’armée, peu avant son départ, en reconnaissance de ses éminents services à la Nation, la lui a conférée. L’homme, l’ami compréhensif et attentionné n’en a pas pour autant changé. Et c’est tout naturellement qu’il annonce à Emile :
— Le commandant Renaud m’a nommé chef de la 145ème section de Saintes…
— Bravo ! applaudit Marcel. Alors tu vas nous servir de guide.
— Oui, jusqu’à l’église Saint-Vivien. C’est juste de l’autre côté du Cours National et pas loin du quai de l’Yser. Après, vous serez tous les deux avec Quéméneur et votre 144ème section. Il suffira de suivre.

Les cloches sonnent. Par les petites rues de ce vieux quartier de Saintes, convergent de toutes parts, les chemises bleues, femmes, enfants, hommes, certains portant leur drapeau encore au fourreau. A l’intérieur de l’église, les délégations et sections de Charente Inférieure, de beaucoup d’autres départements, de l’ouest, du sud-ouest… se regroupent, laissant libre le premier rang. Au fur et à mesure que s’emplit l’église, monte une rumeur assourdie de voix, de bruits de chaises et de pas… bientôt balayée d’un grand bruissement de vent et d’étoffe froissée. En même temps, en hémicycle de chaque côté de l’autel, quinze drapeaux tricolores se déploient sous la voûte.
Jean Renaud, Président de la Solidarité Française, accompagné de Jacques Fromentin, secrétaire général, et de Jacques de Tarlay, délégué aux questions agricoles, fait son entrée. Parcourant l’allée centrale à pas mesurés, il salue, à droite et à gauche, l’assistance d’une légère inclinaison de la tête, et va prendre place au premier rang.
Et alors que retentit le grand orgue, le prêtre arrive à l’autel, en habits sacerdotaux, suivi des enfants de chœur…
Marcel est impressionné. Marceline a la chair de poule : ces drapeaux, ce décorum, les grandes orgues, toutes ces chemises bleues… ! Elle croit, elle est sûre de vivre un moment historique… et sous l’œil du Bon Dieu !
L’orgue s’est tu. La messe peut commencer… « Asperges me, domine… ».

C’est maintenant la fin de la messe. « Ite missa est » dit le prêtre. Le commandant Renaud s’est levé. Debout, à droite, au pied de l’autel, face à l’assistance, il annonce d’une voix forte :
— Je vais remettre leur drapeau aux 145ème et 144ème sections de la Solidarité Française. J’appelle le capitaine Pierre Ménard, chef de la 145ème section de Saintes, et Jean Quémeneur, chef de la 144ème section de Rochefort-sur-Mer.
Les deux hommes quittent leur place et vont se placer à gauche de l’autel, face au Président. Chacun empoigne la hampe du drapeau qui leur est remis. Tour à tour, le commandant Renaud, tenant le drapeau d’une main, et saluant son porteur d’une longue inclinaison de la tête, leur adresse quelques mots :
— Que ce drapeau, symbole du sacrifice, du sang versé, soit aussi celui de votre fidélité aux idéaux de la Solidarité Française. Qu’il vous conduise, vous et la section dont vous êtes le chef, vers l’entente, la coopération sociale, et une paix assurée par les éléments sains et propres de la Nation !

Les cloches sonnent à toute volée. Place Saint-Vivien, les chemises bleues se forment en cortège. Il est midi et demi passés. La fanfare a pris place et lorsque les premiers roulements de tambours se font entendre, le cortège s’ébranle, précédé des drapeaux tricolores des sections. Derrière la fanfare marche le Président-Chef et ses adjoints, suivis des quelques cent-cinquante ligueurs en chemise bleue. Lorsque le défilé débouche quai de l’Yser, une bonne centaine de promeneurs se sont arrêtés et regardent, étonnés, n’acclamant ni ne manifestant de signe hostile… « Sacrés charentais, doit penser Jean Renaud, toujours aussi durs à la détente, plus actifs à la vigne qu’en politique… ! » Au long du parcours, la Charente, la belle et paresseuse rivière, scintille sous le ciel bleu d’avril. Encore deux cent-cinquante mètres, et tout le monde arrive à Port Larousselle. Le grand portail des chais Guillet est ouvert, et le cortège s’engouffre dans l’immense cour bordée des hauts bâtiments de la distillerie.
Les rangs se sont disloqués, et chacun se rue vers les barriques, debout, sur lesquelles est servi un vin d’honneur… ou plutôt un pineau d’honneur, noblesse cognacaise oblige !
Dans la grande cour, à tour de rôle, chaque section avec son drapeau, se fait photographier, autour de Jean Renaud. Marceline, au milieu, se tient au deuxième rang, à droite du Président-Chef. Marcel est au premier rang, bras croisés, un genou en terre, à côté de trois autres jeunes ligueurs.
Enfin, dans le brouhaha des convives excités, on se rue dans le grand chai, où moyennant trente-cinq francs par personne, va se dérouler le grand banquet de la Solidarité Française….

Enfin, Jean-Renaud prend la parole.
«— Mesdames, Messieurs, mes chers concitoyens, la Solidarité Française n’est pas un parti de plus. C’est un mouvement né d’un pays qui reprend conscience de lui-même. Dans le souci de changer cette République telle que nous l’ont imposée les francs-maçons, les internationaux et les financiers qui mènent le monde.
La France, aujourd’hui, mesdames, messieurs, doit se battre contre les ennemis de l’intérieur. Qui sont-ils, ces ennemis de l’intérieur, plus acharnés et plus cruels que l’Allemand avec ses mitrailleuses et ses gaz asphyxiants ? Ces ennemis redoutables ce sont : l’instituteur syndiqué, le financier véreux, le communiste, le patronat cartelliste et le politicien, l’Internationale Juive et les loges maçonniques, souveraines et incontestables dispensatrices de prébendes….
Pendant ce temps, on sait que l’Allemagne arme. On sait q’un jour, fatalement, sans prévenir, Hitler renversera d’un coup d’épaules, le décor de la scène où il se joue de la naïveté de nos dirigeants. Dans une France où faute d’armée on se réfugie derrière une illusoire ligne Maginot. Dans un pays où l’on se partage l’argent des scandales. Dans un Empire devenu le refuge de Proconsuls de rencontre… Le régime est à l’agonie. La Nation à la dérive. La Patrie en danger.
Alors ? Que faire ?
La France est profondément troublée par le réveil des nations d’à-côté qui opposent à nos hommes d’état naïfs ou corrompus des hommes d’acier, un Hitler, ou un Mussolini. Elle voit soudain le gouffre qui s’ouvre sous ses pas. Laval, Herriot et Blum en tête, poussent la France vers Moscou, le Cartel et la Franc-Maçonnerie.
Les mouvements nationaux, dont nous sommes issus, sont impuissants, éparpillés, sans programme politique et social bien défini.
Aucun n’a réussi à se libérer des partis, des unions, encore entachés de conservatisme.

Et voici qu’un jour, après des mois d’études et de consultations, un quotidien du matin publie une réforme de l’Etat et signe d’un nom qui provoque immédiatement la bagarre.
Ce journal est « L’Ami du Peuple ».
Ce nom est « Coty ». François de son prénom, parfumeur de son état. Il vient de créer un mouvement nouveau : « La Solidarité Française ».
Ce mouvement a un programme : la Révolution Nationale. Son organisation et son développement se poursuivent dans une atmosphère de fièvre et de combat. L’année dernière, nous étions cent mille. Je vous annonce aujourd’hui le deux cent millième inscrit.
Nos adhérents viennent du peuple… du peuple ardent des barricades. Ils veulent une vraie révolution. Ils sont ouvriers, paysans, charrons, retraités, mais aussi médecins, avocats, anciens officiers, prêtres, industriels…
Tous, nous voulons un National-Socialisme à la Française : l’intérêt général avant l’intérêt particulier ! La France aux Français !
Le programme de la S.F. ? Le voici :
– expulsion immédiate de tout étranger, agitateur, lié de près ou de loin à l’Internationale Révolutionnaire,
– renvoi chez eux des ouvriers étrangers, sauf utilité incontestée pour certaines industries ; renvoi de toute profession libérale n’ayant pas l’équivalent des diplômes français,
– suppression de « L’Humanité »,
– contrôle rigoureux du « Populaire »,
– dissolution du Front Commun,
– expulsion de la Franc-Maçonnerie.
Mais la S.F. a aussi un programme de fond, appliquable à plus long terme. Il s’agit de la réforme de l’Etat. Il s’agit d’installer un régime corporatiste, destiné à corriger les errements de notre démocratie représentative. Je l’explicite en détail dans mon dernier ouvrage : « La Solidarité Française attaque », que je vous conseille de lire…
Chers amis, il est temps pour moi de conclure. A ceux d’entre nous qui nous ont déjà rejoints, je dis : en avant ! Décidez vos amis à adhérer à la S.F. Soyez actifs, en particulier lors de la grande campagne que nous allons ouvrir en vu de gagner les élections prochaines et de faire barrage à la gauche. Vous aurez à distribuer des tracts, le journal « La Solidarité Française » et placarder sur les murs de vos villes des affiches : celles-ci annonceront, entre autres nouvelles, que Messieurs Paul Faure, Léon Blum, Compère-Morel ont décidé de mettre à la disposition des sans-logis leurs châteaux, leurs villas, et d’offrir aux chômeurs l’exploitation de leurs nombreuses propriétés !!
A ceux qui m’écoutent aujourd’hui pour la première fois et qui n’ont pas encore rejoint nos rangs, je dis : ralliez vous à La Solidarité Française !… mais également, si cela correspond mieux à vos aspirations, aux Jeunesses Patriotes dont je salue le Président Pierre Taittinger, ou encore à l’Action Française !
En nous rejoignant, vous aurez l’occasion de lutter efficacement contre la guerre. C’est par l’union, l’entente et la coopération sociale, sous la direction d’un chef, que la paix pourra être assurée par les éléments sains et propres de la Nation.
Vive La Solidarité Française !
Vive la France. »

Lire l’extrait n°2 du Village des Bons

Je souhaite acheter le roman « Le Village des Bons »