Extrait n°10. Les Voyageurs de l’Outaouais

N°10. JEAN ÉPOUSE SARAH HANSON, 
LA CAPTIVE ANGLAISE AUX CHEVEUX D’OR

Jean-Baptiste est chef du poste de traite à Oka à la mission des Sulpiciens, au bord du lac des Deux- Montagnes. Il tombe en amour de Sarah, l’anglaise aux cheveux d’or captive d’une tribu indienne. Après bien des péripéties, il l’épouse en 1727.

Sarah Hanson était née à Dover, dans le New- Hampshire, une des treize colonies britanniques de l’st américain. Jusqu’à ce fatal mois d’août 1724, elle y avait vécu dans la ferme isolée de son père.

Sarah (Juliette)La maison Hanson, construite au lieu-dit Knox-Marsh, se dressait en lisière d’une épaisse forêt. La route de Dover s’y engouffrait pour en ressortir en zigzaguant autour d’étangs et de prairies mouillées. En août, les marécages étaient presque secs et la boue des chemins laissait place à la poussière.

Les colons quakers du pays vivaient en bonne intelligence avec les Indiens abénakis du cru. Cependant, beaucoup de familles se souvenaient toujours du « massacre de Cocheco, l’ancien nom de Denver, où, treize ans plus tôt, les Indiens avaient tué vingt-neuf habitants et enlevé une trentaine d’autres. D’où la peur latente qui habitait bon nombre d’habitants, dès qu’apparaissait un Mohawk venu d’ailleurs et dont la mine leur semblait patibulaire.

Eglise d'OKAJohn Hanson, le père de Sarah, n’éprouvait pas cette hantise. Pacifiste convaincu, le pieux Quaker n’avait pour référence que le Nouveau Testament, Mathieu 10. 8 : « Ne craignez pas ceux qui tuent les corps et qui ne  peuvent tuer l’âme ». Et, logiquement, en cas de danger, John refusait catégoriquement d’aller se réfugier dans l’une des « maisons fortes1 », qu’avaient construites les villageois…

( Les Voyageurs de l’Outaouais, page 241.)

Ce matin, dès l’aube, John Hanson, deux de ses fils, sa fille aînée Hannah et leurs moissonneurs sont partis pour les champs les plus éloignés du domaine.

La chaleur est à son comble. Dans la touffeur de l’après-midi, la plaine tremble.

Ă l’affût derrière une haie, immobiles, silencieux, des guerriers indiens observent la ferme Hanson. Ils sont treize, nus ou presque, le corps peint de rouge et de noir, leurs peintures de guerre, treize Abénaquis reconnaissables à leurs cheveux hérissés en crête, tous armés de fusils, de tomahawks, de coutelas, d’arcs et de flèches… Ă genoux, à plat ventre, accroupis, comme figés, tels des fauves à l’affût, ils surveillent leur objectif, là-bas, à moins de deux arpents. Ils s’assurent que rien ni personne ne bouge alentour.

Le chef lève la main. Tous s’élancent en avant. Rapides, furtifs, sans un bruit, sans un cri, les voici au pied de l’habitation. La porte est défoncée, la horde furieuse fait irruption dans la maison. Ă peine entré, le capitaine jette la terreur : d’un coup de casse-tête, il abat le petit Caleb d’à peine trois ans. Grimaçant un rire cruel, il se précipite vers la mère, Ėlisabeth, serrant contre elle son bébé de quatorze jours. Vite, Sarah, sa sœur Ėlizabeth et la servante, la font asseoir. Ă peine remise de sa grossesse, elle défaille… Le chef rejoint ses guerriers tout au pillage de la maison, les presse d’empaqueter linge, lainage et autres fruits de leur rapine : il est déjà tard dans l’après-midi, il faut faire vite, on pourrait les surprendre.

Dans l’encadrement de la porte, Daniel et Ebenezer apparaissent. Ils jouaient dans le jardin derrière la maison. Daniel a dix ans, son frère en a quatre. Au vu des hommes rouges, des sauvages nus en plein tumulte, l’enfant, terrorisé, crie. Il hurle sans fin. Craignant que ces cris ne donnent l’alerte, un colosse Abénaqui saisit les deux enfants, un sous chaque bras…

−Seigneur Dieu ! Protégez-les…, trouve la force d’implorer la mère. Le sauvage s’approche d’elle, la défie du regard. Il jette à ses pieds l’enfant et, d’un seul coup de tomahawk, fend le crâne du petit Ebenezer.

Devant les survivants horrifiés, les guerriers scalpent les deux garçons aux crânes fracassés…

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 243, 244.)

1 Maison forte : grosse maison construite en troncs d’arbres équarris, comportant un premier étage surplombant le rez-de-chaussée ; le surplomb est percé de mâchicoulis permettant de déverser de l’eau bouillante sur les assaillants indiens au sol. Les murs sont percés de meurtrières ; chaque maison forte est ceinturée d’une palissade de pieux de huit pieds de haut (gros troncs d’arbres) plantés en terre.