Extrait n°4. La Montagne des Délices

Saccage et incendie en 1793 des habitations de Boucassin… Jacques Sabourin a  succédé à son frère André et mène vie commune avec Anne-Françoise ; il démasque l’auteur des exactions : Lapointe, pseudo républicain et espion anglais ; il l’affronte et le dénonce publiquement,. Le lendemain, Jacques est assassiné sur le chemin de Port-au-Prince.
Anne- Françoise appelle sa fille au secours…

04 Anne-Francoise et Jacques a Boucassin« Boucassin le 4 de février 1794.

Petite Emilie, ma bien chère fille,

Comment t’annoncer la terrible nouvelle ! Ton père est mort, assassiné, il y a deux jours. Je suis désespérée. Je ne cesse de pleurer et le cœur me manque à tout moment. Ma petite fille chérie, je songe à tout quitter. Heureusement, ton frère Dom est là pour m’en dissuader, me soutenir et diriger les habitations. Ma chère petite Emilie, tu ne dois pas reconnaître ta mère, toi que Jacques et moi avons tant désiré porter sur les fonts baptismaux, à Toulouse, au temps heureux de notre mariage.

Ton frère Dom est à peu près certain que les assassins de ton père sont des mulâtres, hommes de main d’un certain Lapointe. Celui-ci, sous couvert de son rôle officiel de maire d’Arcahaye et de commandant de la nouvelle Garde Nationale, estime encore Dom, est un espion des Anglais, mais qui travaille en fait pour son propre compte et s’enrichit en spoliant les planteurs.             Jacques a commis l’erreur de démasquer Lapointe en public à l’issue d’un coup monté par cet individu qui nous a valu aussi une attaque et un début d’incendie à Boucassin. Tu vas comprendre quand tu sauras que cet horrible bonhomme a la réputation de supprimer après coup toute trace ou témoins et complices de ses crimes. Je sais par tes oncle et tante Daran de la rue de la Trinité que tu vas terminer, avec succès j’espère, ta scolarité chez les sœurs de la Providence à Toulouse. Veux-tu bien les informer ainsi que ta sœur Catherine et Lise.

Dom est trop souvent absent, pris comme il l’est par les travaux aux habitations et ses autres occupations, au Port-au-Prince. Dieu merci, Henriette sa jeune femme et lui sont venus s’installer avec moi à la Grand-Case. Cela m’est un tendre et précieux secours.

Ah ! Ma chère fille, que n’es-tu ici, près de moi, pour m’aider à passer ces durs moments ! Mais… Me vient une idée. Puisque tu vas quitter l’école, il y a une possibilité, je n’ose l’envisager, que tu viennes me rejoindre à Saint-Domingue, au moins pour un temps.

Je sais que ta sœur Catherine, à Gaillac, n’est pas en très bonne santé. Et je doute qu’elle puisse t’accompagner. Quant à Lise, son mariage et la naissance d’un enfant n’est-elle pas prévue dans les deux mois qui viennent ? Tes sœurs mènent leur vie.

Mais toi Emilie qui, il est vrai, n’a que quatorze ans ? Parles-en à l’oncle Daran et à Magalie. Je suis certaine qu’ils pourront t’organiser ce grand voyage. Oh ! Emilie, tu vois, rien qu’à te demander cela, mon cœur se desserre, je reprends goût à vivre, j’ai un espoir à caresser…

Je vous embrasse tous, ma chère famille de France, maintenant plus nombreuse que celle de la colonie, hélas ! »

Anne Françoise »                                                         

Réponse d’Emilie :             « Toulouse, mardi 11 de mars 1794.

«  Mère chérie   Toute la famille de Toulouse, et Catherine à Gaillac, pensons beaucoup à toi. Tante Magalie a fait dire des messes pour papa à la cathédrale Saint-Etienne, en souvenir de l’heureux jour de votre mariage et de mon baptême. Sache, en attendant mieux, que nous sommes par la pensée, tous les jours avec toi.    Oui, je vais venir te rejoindre, sans Catherine, hélas !, qui n’est pas en mesure de voyager. Et Lise, comme tu le pensais, ne pourra venir. A son grand regret.

Oncle Daran, comme toujours, a fait jouer ses relations. Il a réussi à me trouver un bateau partant de Bordeaux pour Saint-Domingue, au plus tôt.           Normalement, je devrais arriver à la fin du mois d’avril. Notre oncle a dû se rendre à Bordeaux où, avec son ami Joseph Pécastaing, il est allé à la capitainerie du port. Là, ils ont pu se faire une idée de la circulation maritime dans les eaux de Saint-Domingue. Je ne suis pas sûre d’avoir compris toutes leurs explications. Après tout, je ne suis qu’une petite fille de quatorze ans, ma chère maman. Je ne voudrais pas non plus t’alarmer outre mesure à propos des dangers que représente actuellement l’accès aux grands ports de l’île. J’ai cru comprendre que débarquer au Cap-Français, à Saint-Marc, au Port-au-Prince, ou même à Léogane, était quelque chose d’imprévisible tant la situation politique est partout instable. D’après ce que l’on raconte ici en France, tantôt les Blancs les plus riches y font la loi ou bien pactisent avec les Anglais qui, paraît-il, commencent à envahir le pays, tantôt ils sont en lutte plus ou moins ouverte avec le gouvernement républicain quand ce n’est pas avec les bandes de noirs libres ou les mulâtres… Mais tu sais cela sûrement mieux que moi.

En tout cas, oncle Daran et Monsieur Pécastaing ont pu trouver un bon bateau et un bon capitaine, fin connaisseur des petits ports et des mouillages sûrs de l’île. En fonction des circonstances, il saura toujours approcher d’Arcahaye et vous y joindre pour nous faire débarquer à Boucassin. Notre goélette s’appelle « The sea-gull », son capitaine Dick Brewer est américain. Il dispose d’un sauf-conduit britannique.

Donc, mère chérie, attends-toi à voir arriver dès la fin d’avril, ta chère fille Emilie qui t’embrasse très fort…

Emilie

                PS : embrasse aussi de ma part Henriette et Dom ».

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