Extrait n°5. Les Voyageurs de l’Outaouais

N°5. MARIE GAILLARD AGRESSEE PAR UN MOHAWK.
LE MASSACRE DE LACHINE

En 1682, Jean Sabourin s’est remarié avec Marie Gaillard, la fille du roi qu’il avait connue à bord du « Saint-Jean-Baptiste » et veuve de Jean Perrier. Avec les cinq enfants vivants de Jean et ceux de Marie au nombre de six, la famille compte maintenant onze enfants. Ils viennent habiter Sault-Saint-Louis. Mais les Iroquois multiplient les raids au long de la côte Sud-est de Montréal. Réfugiée avec Jean dans les terres à La-Coste-Saint-Pierre, Marie-Gaillard est agressée par un Mohawk. Quinze plus tard, sur la côte, c’est « le massacre de Lachine »

Dans la maison désertée, le silence n’est troublé que par les craquements de la charpente que travaillent les chaleurs de l’été…

N°5. Iroquois scalpantSoudain, dans un énorme fracas, la porte s’ouvre … Bondit un grand Iroquois, hache en l’air, le torse luisant de sueur, barbouillé de rouge… Marie a juste le temps de reculer… Campé sur ses puissantes cuisses couvertes de tatouages, le corps du sauvage est légèrement fléchi… Le cou ceint d’un chapelet de gros grains noirs, arborant au front une croix scarifiée, l’œil plein de fureur, la bouche déformée d’un affreux rictus, il avance, il tangue, il est ivre, hors de lui…

– Coa! Femme, donner à boire ! De l’eau… La voix est épouvantablement rauque. Il abaisse sa hache.

Marie se reprend, se redresse. Elle ne crie ni ne parle.

−Maudit sauvage !, se dit-elle. Je ne suis pas ta squaw ! Lentement, elle se déplace vers l’évier, empoigne une cruche, la lui tend…

−Niawen ! Moi Iroquois du Sault…, grasseye-t-il en faisant le signe de croix. Cruche en mains, la tête en arrière, il boit à la régalade.

Alors Marie, prenant ses jupes à deux mains, fonce vers la porte ouverte et se met à courir…, à courir à perdre haleine jusque chez son voisin.

Sitôt Marie rentrée, Honoré Danis barre sa porte.

Assise, c’est elle qui, maintenant, réclame un peu d’eau.

Honoré a pris son fusil. Si le sauvage approche de la maison, il n’hésitera pas à tirer. Par les volets entrouverts, avec Marie, il surveille le chemin. L’Indien, tantôt courant, tantôt titubant, s’en est allé, poursuivant sa sinistre tournée.

Le voilà chez Messanguier. Brandissant sa hache, il menace de tuer les chiens qui aboient. La porte s’ouvre. Hugues Messanguier apparaît, fusil à l’épaule. Il n’est pas seul. Ă ses côtés, se tient son ami Larézie, militaire de la garnison de Ville-Marie. Ils attendaient le retour des champs de Jean Sabourin.

Du coup, le sauvage hésite. Il baisse sa hache, demande de l’eau, dit bonjour − « coa » − fait son signe de croix, ses simagrées habituelles, puis finit par décamper.

Mais déjà, Messanguier, accompagné de Larézie, a sauté dans sa carriole à cheval. Il faut d’urgence alerter la maréchaussée de Ville-Marie.

L’Iroquois va de maison en maison, hurlant après les chiens, la hache au poing. Tout le monde a barré sa porte. L’Indien hurle, réclame de l’eau, du lait, puis disparaît sous les grands arbres du chemin de la prairie communale.

Y avance un troupeau de quelques vaches conduites par une jeune fille accompagnée de son petit frère… Le sauvage s’est arrêté. Il se coule derrière un arbre. Il ne bouge plus. Il est à l’affût. Il laisse passer les bêtes. La bergère est à bonne portée, il se jette sur elle et assomme le garçon. Il la bouscule, la couche à terre, la viole brutalement et lui fend le crâne avec fureur d’un coup de hache…

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 115, 116, 117.)

La nuit, orageuse et sinistre, a envahi le lac Saint-Louis. Dans la confusion du ciel et des eaux, le tonnerre gronde et roule ; déchirant l’immensité lugubre, les éclairs allument sur le Saint-Laurent de soudaines flaques livides et, furtivement, révèlent les centaines de canots qui dérivent vers la côte de Lachine.

Les clameurs et le fracas du ciel se sont tus. Drue, violente, la pluie s’abat ; la grêle hache les flots. Là-bas, approchant la rive du fleuve, pagayant en silence et courbant l’échine sous les trombes d’eau, les guerriers iroquois se préparent à atterrir dans les battures.

Mille, voire deux mille guerriers des cinq nations vont aborder la grande Île de Montréal, leur terre ancestrale. Armés pour beaucoup d’entre eux de fusils anglais, préparés et rassemblés en secret depuis un an, ils ont dans chaque tribu frappé de leur casse-tête le même poteau, et scandé le chant de guerre : « Hé-Hé-Hééééééééé… Hé-Hé-Héééééééééé… »

Ils viennent venger leurs frères faits prisonniers par la traîtrise du gouverneur Denonville. Ils viennent sauver l’honneur de leur grand chef Ourehouare1 envoyé aux galères du Roi de France.

Les premiers Iroquois ont atteint la rive, quelque part, à la pointe de La Présentation. Les autres, beaucoup d’autres, débarquent plus à l’Est vers le fort Lachine. La pluie redouble. Le vent plie les arbres. Ombres fugaces, les guerriers se regroupent en petites bandes, s’infiltrent, s’enfoncent dans les terres, esquivant, contournant les redoutes et les forts. Ă chaque groupe sa cible : une maison de colons… Approcher. Pas trop près, les chiens pourraient aboyer. Pas trop loin non plus. Ă chacun l’arbre le plus proche de l’habitation. Prendre l’affût, attendre le lever du jour, guetter le signal, le cri de guerre du chef…

La tempête rugit toujours. Dans les forts, réfugiés au fond de leurs guérites, les sentinelles sont aveugles et sourdes. Dans leur maison, les familles de colons, claquemurées, dorment à poings fermés. Les farouches guerriers iroquois, quasi nus et couverts de leurs peintures de guerre, sont à leur porte, et ils ne le savent pas. Pas une alerte, pas un aboiement, pas un coup de canon comme il est de mise en cas d’attaque.

Longue nuit que cette nuit-là, menaçante nuit…

Sorti de mille poitrines, le cri de guerre des Iroquois retentit de Pointe Claire à la Grande Anse, de La Présentation à Lachine :

−Aiiiiiii-res-koiiiiii ! Aiiiiiii-res-koiiiiii ! Aiiiiiii-res-koiiiiii !

Dans l’aube naissante, glacées d’effroi, les familles s’éveillent en sursaut, voient voler en éclat leur porte et surgir ces sauvages ruisselants, vociférant, peinturlurés et brandissant leur tomahawk ! Tuer est le mot d’ordre. Dès l’assaut, comme toujours, tuer pour frapper l’ennemi de terreur. Les tomahawks s’abattent ! Les crânes explosent ! Les cris jaillissent, le sang gicle. Irrésistiblement, hommes, femmes, enfants s’écroulent sous les coups. Trop tard pour saisir un fusil, pour faire face.

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 123, 124.)

Je souhaite acheter le roman « Les Voyageurs de l’Outaouais »

1* Ourehouare fut finalement ramené en Nouvelle France par le gouverneur Frontenac.