Extrait n°6. Les Voyageurs de l’Outaouais

N° 6. « CULS-TERREUX », « VOYAGEUX », « BOURGEOIS »,
LES TROIS CLANS DE LA FAMILLE SABOURIN-PERRIER

Au lendemain du « saccagement » de Lachine, dans la grande famille Sabourin-Perrier, à l’instar de toute la colonies de la grande Isle, chacun est inquiet, désorienté, remet en cause ses choix de vie… Même Jean Sabourin, l’ancien, se pose des questions : La fourrure ou la culture ? Le castor ou la terre ?

Et que dire de ces familles décimées, désemparées, ruinées,

fuyant et cherchant un hébergement sûr chez des proches ou des amis, à la merci, au détour de chaque sentier, d’un enlèvement ou d’une embuscade meurtrière ? Les forts sont pleins. Ville-Marie est loin. Où aller ? Chez qui trouver refuge ?

Que va-t-il advenir de la grande famille Sabourin-Perrier ?

cul-terreuxĂ La Coste-Saint-Pierre, Marie Gaillard se remet mal de l’agression du Mohawk du Sault. Jean a beau la rassurer : ils ne sont pas seuls, il est vrai. Le fils aîné Pierre habite – bien que souvent absent – quelques maisons plus loin, avec sa toute jeune épouse, Madeleine Perrier…

Le 6 août, comme une traînée de poudre, la nouvelle « de ces milliers d’Iroquois déferlant, tuant et incendiant les habitations de Lachine » s’est répandue dans les terres. Quelle pitié pour Marie, la Fille du Roi, la mère au grand cœur ! Elle s’est donnée tant de mal pour marier et installer ses enfants et ceux de son cher mari Jean Sabourin, sur cette belle côte du lac Saint-Louis !

Qu’en est-il de Marthe et de son époux Jean Charlebois, partis dans leur habitation isolée de Pointe-Claire, à l’ouest de Fort Rolland ?

Et Françoise Sabourin et son mari Coquillard, Pierre Serat-Coquillard, à la pointe de La Présentation, auront-ils eu seulement le temps de se mettre à l’abri de la redoute ?

Au moins, pense-t-elle, Marie, la jumelle de Marthe, n’aura pas eu à courir bien loin pour se réfugier au Fort Rolland ! Mais elle ne sait pas encore que son gendre Guillaume Loret, méchamment blessé dans l’attaque des Iroquois, est décédé.

Marie Gaillard, accablée, reste dans l’inquiétude…

Jean Sabourin se posait aussi bien des questions.

Le moment n’était-il pas venu de changer d’habitation ? Ah ! si seulement les autorités donnaient le signe d’une reprise en main du pays, la confiance reviendrait ! Et ça l’aiderait, Jean, pour savoir s’il faut rester à La Coste-Saint-Pierre, aller à l’Est vers la Pointe-aux au-Trembles ou, au contraire, persister et aller encore plus à l’Ouest, comme ses enfants le pensaient, vers Lachine ou Pointe- Claire ?

maçonD’autres questions l’assaillaient. Pourquoi s’échiner à la culture ? Ă l’essartage, puis à la culture, pour un si faible rapport, pourquoi toujours s’endetter sans être sûr de rembourser ? Ah ! La Baudranche de son père, ce rêve né au Vieux Pays, ne serait-ce pas un mirage ? Ne vaudrait-il pas mieux courir les bois, décrocher des contrats de « voyageur » pour le Pays-d’en-haut, s’enrichir au commerce des fourrures ? Jean n’était pas sans savoir qu’un voyageur pouvait gagner jusqu’à trois cents, cinq cents, voire mille livres par année, soit trois fois le salaire d’un chirurgien, dix fois celui d’un soldat. Alors, le castor ou la terre ? Ah ! Jean Sabourin… Il était bien temps, à près de cinquante ans, de se poser ce genre de question…

…pendant tout l’hiver, la maison de Marie allait être un havre de quiétude et de chaleur familiale retrouvée. Un refuge où l’un ou l’autre des enfants ou petits-enfants, qu’il vente, qu’il neige, en traîneaux ou en raquette, vint pour un temps resserrer le cercle de famille autour de Jean et de Marie Gaillard.

Est-ce à dire que régnait une harmonie parfaite dans la grande famille ? Sûrement pas.

Ă chaque réunion, trois clans s’affrontaient.

D’abord les « culs-terreux » : ils se sentaient investis de la mission royale de mettre en valeur la Nouvelle France… comme les Picard partis s’installer avec Marie-Madeleine Sabourin à la Rivière-des-Prairies, les Thomelet à la Grande-Anse, comme les Charlebois à Pointe-Claire, et surtout le patriarche, Jean Sabourin de La Coste-Saint-Pierre.

voyageuxEnsuite, les « voyageurs » : pour ceux-là, rien ne comptait plus que l’appel de l’Ouest, les voyages et la traite de la fourrure. François Perrier, à dix ans déjà, rêvait de courir les bois ; son frère aîné Jacques, « voyageux » de son état, arrivait toujours par surprise alors qu’on le croyait encore au pays des Illinois… Ce clan, bruyant et conteur d’histoires mirobolantes, ébranlait souvent les certitudes des autres et suscitait de folles vocations chez les jeunes, au grand dam de leurs parents.

Enfin, un troisième clan, celui des « Bourgeois », en tenait pour la vie urbaine, l’artisanat, le travail bien fait ou le service rendu, bien rémunéré en monnaie sonnante et trébuchante. C’était le cas du deuxième mari de Françoise Sabourin, Pierre Sérat-Coquillard, maçon, qui s’enrichissait à reconstruire les maisons de la côte et rêvait d’abandonner La Présentation pour Ville-Marie

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 127,128,129. )

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