Extrait n°6. La Montagne des Délices

En 1807, Dom opte pour la politique. Il accepte du général Pétion d’être son aide-de-camp, avec le grade de colonel. Au fil des 2 élections successives de son mentor, il deviendra Grand-Juge d’Haîti sous la présidence d’Alexandre Pétion, Président de la République… non sans que l’exercice du pouvoir amène Dom à abandonner une partie de ses illusions lyriques et renier quelques principes démocratiques !

La lettre d’Emilie, est arrivée en janvier 1818 au palais du Gouvernement à l’intention du Grand-Juge :    

06 Dom le maitre de BoucassinMon cher Dom,

                Comment faut-il t’appeler désormais ? Son excellence monsieur le Grand-juge ? Citoyen Grand-Juge Dom Sabourin ?

                J’ai appris ta nomination à Nantes chez notre ami Leroy-Charley, où je suis venue discuter de mes projets. J’en ai profité pour me plonger dans tous les numéros du « Télégraphe » et de « l’Abeille haïtienne » dont il garde religieusement toute la collection  sans parler des innombrables rumeurs qu’on lui rapporte de Port-au- Prince. Il est vrai, Dom, que tu ne m’as pas gâtée par l’abondance de ton courrier.

                Je venais de Paris  avec mon fiancé (Oui, je crois bien que j’ai trouvé l’homme de ma vie. Il s’appelle Scipion de Possac. (Nous vivons ensemble à Paris, je t’en reparlerai).

                Ne sois pas fâché, Dom, du ton un peu exalté de cette lettre. Ce que je viens d’apprendre à propos d’Haïti ajouté aux moments difficiles que nous venons de passer à Paris expliquent l’humeur qui m’habite et le choc éprouvé dans mes sentiments républicains…De plus, me voilà obligée de différer mes projets d’installation commerciale à Paris. L’époque nous malmène, Dom! Il aura fallu tout ça : la Révolution, l’Empire, les 100 jours, le retour d’un roi impotent… pour retomber en monarchie ! Quand la verrons-nous naître un jour, cette République Française tant attendue ?

                 Dom, cela m’amène à te parler de toi. Ton épopée haïtienne ne t’a évidemment pas ménagé, et te voilà engagé dans une grande aventure politico-révolutionnaire !       J’espère que t’a quitté l’état d’admiration béate, de fascination, vis-à-vis de Pétion que je t’ai prêté lors de tes débuts à ses côtés.

                Je subodore, derrière la version qu’en donne l’ « Abeille », que l’éviction de Bonnet t’a ouvert les yeux sur l’autocrate qui sommeille en ton président. Je pense que pour ne pas quitter son gouvernement, tu as dû avoir avec lui une sévère explication. Se rebeller, c’est aussi savoir forcer l’estime de son chef, et se garantir pour l’avenir une concertation confiante ; eh oui ! Grand frère, les femmes en espoir de mari savent çà.

                Alexandre Pétion porte en lui les défauts de ses qualités : bon et généreux, il ne sait pas dire non. Rien plus que cela ne semble davantage flatter son ego, sa vanité. Hélas ! C’est la porte ouverte aux passe-droits. Grand-Juge !

                 C’est à la lecture dans « l’Abeille » de ta constitution votée l’année dernière, Dom, que je ne puis plus du tout te suivre. Tu as failli, Dom. Tu n’es pas le « sage » que j’aurais rêvé que tu sois. Dans ton Comité de révision constitutionnelle, tu as trahi tes convictions républicaines : « l’élection à vie du président », c’est ouvrir la porte à la dictature, c’est une dynastie qui commence !

                Ce rôle de « sage », pourtant, comme il te va bien, Dom, quand Pétion (qui, décidément te connait bien) te nomme, pendant le siège de Port-au-Prince, Commissaire aux Réfugiés du Nord !

                Oui, Grand-Juge Dom, je t’avais imaginé non pas en simple « juge » mais en « juste »… indépendant, lucide, clairvoyant sur le futur, n’hésitant pas à t’élever contre l’autoritarisme du président, à te démarquer des privilèges de l’élite mulâtresse,  à te battre pour l’égalité à l’accession au pouvoir du peuple noir…

                Et au lieu de cela, que vois-je ? Mon Dom en « juriste », en « homme de robe » taisant ses scrupules techniques, cautionnant les passe-droits, les abus de pouvoir et les injustices après que, grâce à toi, il est vrai, une organisation de la justice rendue superbement efficace en ait éliminé un très grand nombre.

                Dom, permets que je me mêle encore un peu plus de choses que je connais si mal… Le pouvoir actuel, ton pouvoir, ne s’appuie-t-il pas trop encore sur une logique d’exclusion creusant toujours des inégalités entre « le peuple noir » et « l’élite mulâtre » héritière du pouvoir « blanc ». Et ce n’est pas en appelant « citoyens » les Noirs ou en interdisant le mot « nègre » que tu changeras leur condition de vie en société !

                Bon courage ! Je t’embrasse, mon très cher grand frère, sans oublier Henriette, Sylvestre et Catherine.  

Emilie                                       


PS. Dès que mes projets (Mariage, installation à Paris) se précisent, je vous en fais part avec autant de détails que possible.

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