Extrait n°7. Les Voyageurs de l’Outaouais

N°7. LA MORT DE PIERRE SABOURIN

Pierre a convaincu son père Jean, le patriarche, de venir s’installer en famille plus à l’Ouest. Ă Pointe-Claire, ils vont fonder la « Nouvelle Baudranche » en souvenir du Vieux Pays. Le déboisement du domaine sera fatal à Pierre.

Plus elle approchait, plus les coups de hache se faisaient précis et retentissaient à travers la futaie.

Pointe-claireSoudain se fit un grand silence. Ils se sont arrêtés, se dit-elle ; ils soufflent, ils vont reprendre… mais non, pas de bruit de haches. Même le vent, même les oiseaux s’étaient tus, lui sembla-t-il. Rien que ce silence, pesant, inquiétant, qui s’était abattu sur la forêt. La gorge de Marie se noua. L’angoisse la saisit. Un malheur est arrivé ! Elle en était sûre à présent. Prise de panique, laissant là son panier, elle se mit à courir, trébuchant dans les racines, dans les branches tombées au sol… vers la grande clairière où elle devinait la présence des bûcherons.

Les hommes étaient là, debout, comme paralysés ; Jean, son vieux mari, complètement défait, serrant contre lui le petit Jean-Baptiste secoué de sanglots ; Jacques Thomelet, le dos voûté, appuyé sur sa hache. Ă leur pied, gisait Pierre, sous le grand arbre qu’on venait d’abattre.

−Marie, c’est un très grand malheur ! parvint à articuler Jean…, la voix brisée.

−Un accident effroyable…, expliqua Jacques. Au moment de tomber, l’arbre a pivoté sur lui-même. Il est tombé là où on ne l’attendait pas. Nous, nous étions plus loin avec le petit, on a pu se sauver, mais Pierre qui venait de donner les derniers coups de hache, l’en a pas eu le temps…

−Pierre a pourtant bien entendu, reprit Jean, comme nous, le long craquement de l’arbre. Il a regardé en l’air, il a tout de suite compris, mais un peu trop tard sans doute. Il a eu beau s’ensauver en courant, il a été rattrapé, fauché et écrasé par les branches. Et quoi faire ? On n’a rien pu faire… et on ne peut plus rien faire pour mon fils…, rajouta-t-il dans un sanglot en serrant convulsivement le petit Jean-Baptiste contre lui.

−Il faut tout de même le sortir de là…

−N’approche pas, Marie. Tu ne supporterais pas. Ce n’est pas beau à voir.

Quand on eut dégagé le corps ensanglanté, il fallut se rendre à l’évidence. Pierre avait été tué sur le coup.

L’enterrement eut lieu le surlendemain. La tombe avait été creusée dans l’enclos du cimetière qui entourait l’église en construction, et Jean Charlebois avait envoyé son fils Jean-Baptiste en carriole à Lachine quérir le curé Rémy.

Jean Sabourin était accablé. Même Marie Gaillard avait du mal à le sortir de son mutisme éploré. C’est à peine si elle avait pu saisir ses intentions :

−Qu’on mette dans le cercueil de Pierre, la hache de 1476, cette hache de malheur !…, avait-il finalement articulé.

moulin de Pointe ClaireUne pluie froide s’était mise à tomber sur la baie. De la maison de Jean, où avait reposé la dépouille de Pierre, jusqu’au cimetière s’allongeait le long cortège noir, triste et mouillé. La trentaine de Sabourin et de Perrier habitant la côte ou Ville-Marie étaient venus, accompagnés des parents et amis de Pointe-Claire.

Derrière les enfants de chœur portant haut le crucifix, le curé Rémy, ruisselant de pluie, à pas lents, ouvrait la marche aux porteurs du cercueil : Pierre, le fils aîné du défunt, Jean-Baptiste Charlebois, Jean Brunet et Jacques Thomelet.

Suivaient, pitoyables, perdus, Jean le patriarche et Madeleine Sabourin. Entre eux deux, Marie Gaillard, droite sous la pluie, les tenait par le bras. Marie ! invulnérable Marie ! pilier de la famille ! si rayonnante dans le bonheur, et si solide dans l’adversité !

Le ciel daigna s’éclaircir un temps quand tout le monde fut réuni autour de la fosse. C’est le curé Rémy qui, après la prière des morts, dit quelques mots sur Pierre :

« Cœur généreux, fils dévoué, mari modèle et père attentionné, Pierre Sabourin doit demeurer un exemple, pour nous tous, colons de Nouvelle France. Rappelons-nous qu’il est venu du Vieux Pays de France à l’âge de trois ans avec son père et sa mère. Trop tôt rappelé à Dieu, il aurait sûrement encore apporté beaucoup à notre belle province. N’oubliez pas, tous membres de cette grande famille Sabourin-Perrier, n’oubliez pas Pierre Sabourin. Requiescat in pace ! »

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 135, 136, 137.)

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