Extrait n°8. Les Voyageurs de l’Outaouais

N°8. OUTA, LA BELLE SAUVAGESSE, PREMIER AMOUR DE JEAN-BAPTISTE

Jean-Baptiste, deuxième fils de Pierre Sabourin, est placé chez Paul Guillet, réputé marchand de fourrure du Bout-de-l’Isle. Il va y apprendre son métier et y connaître Outa, la belle sauvagesse. De ce premier amour naît Pierre, le fils métis.

Portrait d'OUTATout le monde l’appelait « Outa». C’était une sauvagesse née dans une tribu lointaine à l’Ouest du lac Michigan. Elle avait grandi au bord de la rivière Fox que les Outagamis, son peuple, interdirent longtemps aux Français.

Tout le monde à Sainte-Anne du Bout-de-l’Isle l’appelait Outa. Les robes noires l’avaient prénommée Marie-Josèphe, lorsque son maître Paul Guillet l’avait ramenée d’une de ses expéditions au Détroit et portée sur les fonts baptismaux.

Esclave ? Domestique ? Ex-épouse indienne du maître ? Nul ne savait à Sainte-Anne. Mais, au fil du temps, Outa était devenue l’âme de la célèbre maison de commerce de fourrure, et l’indispensable truchement dans le concert de dialectes pratiqués au comptoir.

Tout le monde l’appelait Outa. Marie-Josèphe, de la tribu des Outagamis, faisait désormais partie de la famille Guillet chez qui elle habitait. De cela, personne ne doutait à Sainte-Anne du Bout-de-l’Isle.

Grande, belle, plus que belle, vive et enjouée, Outa dansait en marchant, comme sur la pointe de ses mocassins, bombant sous sa robe de daim frangée deux seins menus, levant haut sa mignonne tête brune et balayant l’air de ses deux tresses aile de corbeau. Dans son visage mat aux pommettes hautes, pétillaient des yeux noisette aux paupières charbonneuses. Les yeux d’Outa ! Toujours au rire comme on dit que le temps est au beau. Mais, parfois, comme avec la fugacité d’une risée sur l’eau, on y saisissait un soupçon d’inquiétude, un rien d’angoisse… Qui voyait cela dans les yeux d’Outa ? Son patron monsieur Paul, si lointain, si occupé ? Le nouveau commis, Jean-Baptiste, si beau, mais si jeune et si innocent ?

Outa n’en revenait pas. Le maître l’avait chargée, elle, l’Indienne, d’apprendre à ce blanc-bec toutes les roueries du métier de la traite, tous les « tours de bâton » permettant d’embobiner le client, de rouler l’acheteur ou de tricher dans les échanges ! Et, pourquoi pas, de déniaiser aussi ce gamin ? Encore fallait-il qu’il apprît ce qu’était la fourrure !

La fourrure !… qui a fait la fortune de Paul Guillet et qui fera peut-être la mienne, imaginait Jean-Baptiste Sabourin. La fourrure ! Le grand entrepôt de maître Guillet en regorgeait ; en ballots entassés, juchés jusqu’à hauteur de toit ; ou encore au pendail, de tout poil et luisant dans la pénombre de ses splendeurs fauves, rousses, blanches ou argentées. Dans la grande bâtisse odorante, depuis des jours et des jours déjà, Jean-Baptiste était à bonne école avec Outa ! Elle savait lui prendre la main pour caresser ces fourrures à la douceur exquise. La loutre, le renard, la martre, le vison, la mince et féroce hermine, tous ces petits animaux de grande noblesse, expliquait la jeune Indienne, étaient très recherchés pour leur riche fourrure par les femmes européennes…

Et que n’avait-elle pas à dire, en son jargon de sauvagesse, à propos du castor ? Le castor ! « Le plus beau duvet du monde », abondante et inépuisable richesse de la neuve France, matière première inégalée d’un feutre très fin, chambardant et révolutionnant la chapellerie de toute l’Europe…, sans oublier les peaux d’orignal, de chevreuil, de wapiti qu’on chassait dans le sud du Québec, de caribou qui, l’hiver, descendait jusque dans la vallée du Saint-Laurent ; ces grands animaux fournissaient des cuirs de grande résistance aux chamoiseurs français…

−Ça, je le sais, Outa, avait coupé Jean-Baptiste, mon père avait un cousin à Niort en France, dont l’entreprise fabriquait pour les armées du Roi de la sellerie en cuir importé d’ici !

−Ces cuirs sont aussi réexportés de La Rochelle vers l’Italie, l’Espagne et même la Hollande et la Moscovie, avait complété Outa.

Au beau milieu des leçons de la squaw au nouveau commis survenait parfois Paul Guillet.

−De toute la pelleterie, expliquait-il, le castor représente, et de loin, la plus grande richesse de la Nouvelle France. Il est la base de ces échanges mutuels entre sauvages et Français. Sans lui, nos colons n’auraient pu vivre en bonne intelligence avec nos frères Hurons, Algonquins et Népissingues…

−N’est-ce pas aussi un peu grâce à la religion que nos prêtres ont apportée aux sauvages ? s’était risqué à argumenter le jeune homme. Une petite lueur de malice, d’admiration peut-être, avait illuminé les yeux de Marie-Josèphe Outagami, Indienne baptisée.

−Certes, certes, mon jeune ami, avait répliqué le maître. N’oublie quand même pas que, sans le castor, sans la fourrure, nous, marchands, n’aurions pu organiser le commerce en Nouvelle France ; jamais la colonie sans l’argent ainsi récolté, n’aurait pu progresser et réussir comme aujourd’hui…

( Les Voyageurs de l’Outaouais, pages 147, 148, 149 )

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