Extrait n°1. Les Voyageurs de l’Outaouais

N°1. JEAN SABOURIN, SAUNIER EN AUNIS, S’ EMBARQUE POUR LA NOUVELLE-FRANCE EN 1669

1664. Sous le soleil écrasant de l’Aunis, Jean Sabourin est saunier dans les salines de Rompsay. Les pluies diluviennes d’automne, puis les miasmes et les mauvaises fièvres du marais vont, au fil des saisons,  lui enlever femme et enfants.

1669. Obsédé par son rêve de partir en Nouvelle-France, il trouve enfin à La Rochelle un embarquement pour lui, sa nouvelle épouse Mathurine et son fils Petit-Pierre.

…Avec femme et enfant, avec son coffre et ses hardes, il [ Jean ] a rejoint les autres engagés sur le quai de la Grand-Rive. Il a même la joie insigne d’embrasser son père, venu avec le cousin Pierre, l’échevin de Niort, assister à son embarquement. Son protecteur aussi est  venu, messire Baudin de La Salle.

    Il est huit heures du matin : le soleil brille. Avec la marée, les vaguelettes viennent lécher le pied du quai. En bas de la rampe pavéePierre Sabourin Roman Les voyageurs de l'Outaouais, d’innombrables barges, canots et chaloupes tanguent, prêts à embarquer les passagers.

    La foule est considérable, avide d’assister au départ des émigrants pour la Nouvelle France. Pour tenir à distance les curieux, le Corps de Ville a dépêché une bonne dizaine d’hommes d’armes. Sur une estrade pavoisée aux armes du Roi, se tiennent Monseigneur l’Evêque, tout engoncé dans sa somptueuse robe écarlate, le supérieur des Jésuites du Perrot, entouré d’autres « robes noires », l’Intendant Général Colbert du Terron portant chapeau à plume et redingote de velours bleu à broderies d’or, enfin une forte délégation du Présidial de La Rochelle…

« Veni Creator, Spiritus
Mentes tuorum visita 1
… »

    Dominant peu à peu le brouhaha ambiant, s’élèvent des voix fraîches de jeunes filles ; une cohorte de demoiselles, là-bas, vient de passer sous le porche de la Tour de l’Horloge et traversent le pont de la Verdière : les Filles du Roy !

    Les Filles du Roi ! Cent cinquante filles dotées par Sa Majesté Louis le Quatorzième, partant pour épouser les hardis colons de Nouvelle France, et leur faire de nombreux enfants ! Elles ont vingt ans ou peu s’en faut. Certaines sont seulement vêtues à la mode paysanne d’Aunis, d’autres, plus nombreuses, arborent de jolies et amples robes à fleurs, cape relevée sur l’épaule ; mais toutes portent le même sage bonnet blanc, les mêmes souliers noirs. Respectueuses des sévères consignes qu’on leur a données, elles marchent les yeux baissés, mais les joues en feu. Rouges d’excitation, elles chantent à chœur joie :

« Veni Creator, Spiritus
Mentes tuorum visita 1
… »

    En tête du cortège » marchent Anne Bourdon et la mère supérieure de la Providence. Les jeunes filles sont encadrées par les archers de la milice bourgeoise et ceux du prévôt. Ferment la marche, à pas menus, une escouade de petites Sœurs de la Providence, un peu effarouchées sous leur coiffe ovale et leurs voiles noirs.

    Toutes les filles viennent s’asseoir non loin de Jean et de sa famille, sur des bottes de paille couvertes de toile. À côté, du moins pour celles qui partent de La Rochelle, ont été déposés les coffres où ont été soigneusement emballées leurs hardes.

Pierre Sabourin Roman Les Voyageurs de l'Outaouais

Sur un signe de Madame Bourdon, les filles se sont levées, et Monseigneur l’Évêque, du haut de sa grandeur, bénit l’ensemble des émigrants de Nouvelle France. Compte tenu des circonstances, il n’ira pas à bord du Saint-Jean-Baptiste où, toutefois une messe sera dite par le père Jésuite Marc.

La directrice procède alors à l’appel, en commençant par les Rochelaises :

−Ancelin Françoise, de Saint Martin de Ré,
−Angelier Marie, de Lagord,
−Dodin Anne, de Loix en Ré,
−Grolleau Madeleine, de Saint-Ėloi à la Rochelle…, puis continue avec les embarquées de Dieppe :
−Aubert Jeanne, paroisse de Saint-Etienne-du-Mont à Paris,
−Bertault Anne, paroisse de Saint-Sulpice à Paris,
−Desportes Françoise, paroisse de Saint Nicolas des Champs à   Paris,
−Gaillard Marie, paroisse de Clermont de Sainte Croix à Rouen…

                                            ( pages 21, 22, 23, de « Les Voyageurs de l’Outaouais » )

1 « Viens en nous, Esprit créateur, visite les âmes des tiens. »

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